Jean-Pierre LAVORATO

Article parue dans Karaté Story ( D.Vincent)

Tous les karatékas français connaissent au moins le nom de Jean-Pierre Lavorato. Les débutants l'ont entendu prononcer par leur professeur tandis que les pratiquants les plus chevronnés en font un synonyme d'efficacité discrète. Car c'est bien de discrétion qu'il s'agit dès qu'il est questions de cet excellent karatéka qui apprit son art auprès des plus grands. Disciple des Maîtres Kasé, Shiraï, Enoeda et Kanazawa, Jean-Pierre Lavoralo est un pur produit shotokan; il ne fait malheureusement pas entendre sa voix très souvent. Depuis des années, il s'entraîne de son côté, sans prendre part, ou peu s'en faut, à toutes les tables rondes, les débats organisés autour du karaté. Symbolisant d'une certaine façon le karaté traditionnel, sa présence dans ce livre s'imposait à plus d'un titre. 

Q_; Quand et où êtes-vous né ? R : Je suis né le 30 juillet 1944 à Vitry-Châtillon, dans l'Essonne. 

Q_: Quand avez-vous commencé le sport ? R : Le sport ou le karaté ? 

Q_; Non, le sport ! R : Je vous demande cette précision parce que, pour moi, le karaté n'est pas un sport mais un art martial. Ceci dit, j'ai commencé le sport très tôt. Dès l'âge de six ans. Je suis né dans une famille de sportifs qui comptait dans ses rangs des internationaux de volley et de boxe.hg Je me trouvais donc dans un milieu particulièrement propice à l'exercice physique. 

Q_: Quand avez-vous commencé lekaraté? R : En 1964. J'ai fait mes premiers pas avec Monsieur Mercier qui est aussi peu connu que bon professeur ! J'ai débuté par le shotokan que je n'ai jamais délaissé d'ailleurs. 

Q_: Quel était votre métier avant de devenu professeur de karaté' ? R : Je travaillais avec ma famille dans la confection et le commerce de vêtements. 

Qj Quels sont vos titres en karaté ? R : J'ai été Champion de France en toutes catégories en 1968 ; je l'ai encore été, au moins cinq ou six fois, par équipes avec mon club, l'A.F.A.M. ; j'ai été aussi deux ou trois fois Champion d'Europe et je suis cinquième dan. 

Q_: Quand et pourquoi avez-vous abandonné la compétition ? R:J'ai décroché en 1970, après ma participation au match France-Japon. Pourquoi ? Eh bien parce que je n'y trouvais plus l'ambiance de camaraderie nécessaire. Autant je suis partant pour combattre sur le tapis, autant j'aime qu'il n'y ait aucune agressivité  ou rivalité dans l'équipe dont je fais partie. La compétition m'amusait d'autant plus -j'adore combattre ! - que je me sentais entouré d'un  climat d'amitié et de solidarité. Celui-ci n'existant plus, la compétition cessait de m'intéresser. Cela dit, je peux la reprendre à n'importe  quel moment et sans problèmes. 

Q_; On vous présente généralement comme un traditionnaliste. Vous reconnaissez-vous dans cette appellation et que signifie pour vous la tradition ? R : Je suis avant toutes choses un karatéka. Que certains me dépeignent comme un traditionnaliste ne me gêne pas mais je demande ce qu'ils entendent exactement par « traditionnaliste ». Moi, j'enseigne le karaté tel que je l'ai appris, en mettant l'accent sur la technique, base de toute évolution dans quelque domaine que ce soit. Généralement, les gens pensent trop souvent Japon quand ils parlent de tradition. Si celle-ci passe bien par le Japon - et pour cause ! - on ne peut la réduire à si peu. La tradition c'est tout un état d'esprit qu'il est évidemment difficile de définir en quelques mots. Dans mon club, je fais beaucoup travailler la compétition - ce qui n'est pas spécifiquement traditionnel puisque la compétition ne date que d'une vingtaine d'années ! - et je perpétue l'enseignement que j'ai moi-même reçu de mes senseî les Maîtres Kasé, Enoeda, Shiraï, Kanazawa. 

Q_: Que pensez-vous de la compétition ? R : Ce n'est jamais que le côté sportif du karaté. Il y a donc des aspects positifs et des aspects critiquables. Ce n'est pas là une façon de ménager la chèvre et le chou, d'éviter votre question que de vous répondre ainsi. De la sorte, je veux simplement vous faire comprendre que faire de la compétition relève d'un choix personnel que je respecte de toute façon. Dans les actuels compétiteurs français,  il y a des karatékas qui promettent beaucoup. Ce qu'ils feront plus tard de leurs talents ne regarde qu'eux.

 Q_; Ne pensez-vous pas que la compétition ait une tendance quasi-inévitable à fausser l'esprit réel du karaté? R : La compétition a, à la fois, toujours et jamais faussé le karaté. L'important c'est de la considérer pour ce qu'elle est et s'en tenir à cette définition. En soi, elle n'est pas plus mauvaise que d'autres sports de combat comme la boxe, le thaï-boxing, le full contact. Et comme dans chacun d'eux, c'est moins la discipline pratiquée qui importe que la façon de l'exercer. Il serait malvenu de la dénigrer car elle correspond à une étape dans la carrière d'un karatéka. Tous les grands noms actuels du karaté sont passés par elle.

Q_; Quand Roger Paschy, qui représentait lui aussi une certaine image du karaté traditionnel, est passé au full contact, certains de ses supporters l'ont félicité : ils pensaient que leur idole n'avait entrepris cette aventure que pour prouver la force du karaté traditionnel par rapport au full contact et se refusaient à admettre qu'il s'agissait bel et bien d'une reconversion complète. Le fait est que certains partisans du full contact vont jusqu'à contester toute efficacité au karaté traditionnel. N'avez-vous jamais songé à enfiler les protections pour couper court a toutes ces affirmations ? R : Moi, personnellement, je ne vois pas l'intérêt d'aller tester un pratiquant de full contact. Je vous ferai remarquer Cependant qu'aucun pratiquant de full contact, appartenant à la même catégorie de poids que moi, ne devrait, à mon avis, venir me trouver... J'en doute beaucoup du moins ! Ceci dit, et je vous le répète, je ne prends pas part  à tous les bruits. Les gens font ce qu'ils veulent et ont droit de le faire sans qu'on les diffame par derrière. Si quelqu'un venait me défier dans mon club, je répondrais comme il me semble devoir le faire et ce, quel qu'il soit. Peu importe  qu'on fasse du full contact, du kick-boxing ou n'importe quoi d'autre, l'essentiel c'est de le faire bien. Et quand on s'adonne  sincèrement à quelque chose, on ne pense pas et on n'a pas le temps de s'occuper de ragots. Les gens réellement efficaces connaissent assez bien toutes les souffrances à l'entraînement que suppose leur maîtrise pour s'intéresser à tous les bruits de couloirs. 

Q,.' Du point de vue technique, que pensez-vous du full contact ? R : C'est totalement différent du karaté. C'est la raison pour laquelle, justement, je n'admets pas les affirmations de certaines revues selon lesquelles, le full contact serait l'aboutissement des recherches en karaté. C'est complètement différent et on ne peut prétendre de telles choses. Ceci dit, cela n'empêche pas les pratiquants de full contact d'avoir de bon scoups de pied ou de bons coups de poing. Ce qui sépare, entre autres choses, les adeptes du full contact des partisans du karaté traditionnel, c'est que les premiers réclament du contact continuellement alors que les seconds n'en veulent que de temps à autre. Personnellement, je porte depuis longtemps des protections lors d'assauts très traditionnels mais néanmoins très vifs. Pour conclure, je crois qu'il ne devrait exister aucune opposition entre le full contact et ce qu'on appelle lekaraté traditionnel. Je suis moi-même très ami avec des champions de karaté qui ont rejoint les rangs du full contact. Le full contact est aussi en vogue et la mode le présente un peu sous des aspects trompeurs. 

0; Que pensez-vous justement du phénomène Bruce Lee et de son impact sur le monde du karaté ? R : Sur le plan technique, il me paraît difficile de me prononcer. De ce point de vue là, je ne sais pas si Bruce Lee a contribué à l'évolution du karaté. Mais ce qui est certain c'est qu'il lui a donné une dimension publique inconnue jusqu'alors. Il a draîné beaucoup de monde dans les salles. Que ces nouvelles recrues n'aient pas trouvé dans les dojo le karaté qu'ils avaient admiré sur les écrans de cinéma ne change rien. Et s'il est difficile d'évaluer la part de jeunes venus au karaté par l'intermédiaire  de Bruce Lee - un jeune ne confie jamais vouloir faire du karaté pour ressembler à son idolemais trouve  plus volontiers des prétextes : il vient pour sa santé, pour apprendre à se défendre, etc. - tirer des statistiques sur ce phénomène paraît impossible. On peut seulement dire que le karaté est devenu un phénomène de masse. Le problème qui se pose actuellement est de l'équiper d'un encadrement pédagogique de qualité. 

Q_; Comment voyez-vous l'avenir du karaté en France ? R : Je lui souhaite une grande réussite, bien sûr! Mais j'espère surtout qu'on en reviendra à un karaté très pur : technique, viril et efficace. L'idéal serait de faire un karaté qui pourrait séduire tous les goûts, recouper toutes les motivations de tous les pratiquants. Celui qui vient de temps à autre pour s'entretenir, celui qui fait du karaté parce qu'il vise des succès en compétition et tous les pratiquants qui aiment le karaté pour une raison ou pour une autre devraient  trouver dans un club de quoi satisfaire leurs attentes. C'est là mon idée : un karaté à la carte où tout le monde trouverait son compte. 

Q_: Pourquoi vous voit-on si peu en public et entend-on si rarement votre voix ? R : Je fais du karaté parce que c'est ma passion et non pour plaire aux gens ou pour épater la galerie. Si on me voit si peu,  c'est parce que j'en ai décidé ainsi. C'est une résolution personnelle et je ne ressens nullement le besoin de lire des articles qui me seraient consacrés, par exemple, dans les revues spécialisées, ou de me faire admirer. Ceux qui veulent me voir se dérangent jusqu'à mon club où je suis le plus clair de mon temps. Là est ma vie. 

Q; Nous savons que Francis Didier et Roger Paschy envisagent de reparaître en compétition afin d'en rehausser le niveau technique. Ce n'est pour l'instant qu'un projet. Mais s'il prenait corps, ne vous y joindriez-vous pas? R : Pourquoi pas ? Au départ, moi, tout me tente. Tout dépend des conditions précises dans lesquelles cette entreprise est conduite.  De toute façon, je suis en mesure de reprendre du service à tout moment. Je m'entraîne tous les matins et ce, tous les jours de la semaine : du lundi au dimanche. 

0; Pouvez-vous nous décomposer une de vos journées ? R : Je me lève vers sept heures trente. Je prends mon petit déjeuner et je laisse passer alors un petit moment pour être fin prêt à l'entraînement. Je fais cinq kilomètres de footing à raison de quatre fois par semaine environ ; je rentre ensuite à mon club où je fais cinq cents abdominaux suivis d'une heure, une heure et demie d'assouplissements de jambes. Ma matinée est alors terminée et je vais manger. Je ne suis pas très gros mais je mange beaucoup, tout en ayant soin de ne pas con sommer de choses lourdes ou grasses. Je ne bois évidemment que de Peau et je ne fume pas. L'après-midi, je fais deux heures de sac. Le soir, j'entraîne mes élèves à la technique et au combat. 

Q_: Vous faites beaucoup de kata ? R : Un petit peu. Je sais que je vous surprends en vous disant cela mais c'est la stricte vérité.J'ai une réputation de technicien du kata parce que je m'attache, quand j'en exécute un, à y mettre autant de sérieux et de puissance que si je combattais réellement. Mais c'est tout. Les kata sont très importants mais je n'en fais pas autant qu'on veut le dire. 

Q_: Avez-vous un conseil a donner aux jeunes karatékas ? R : Je pense bien à quelque chose, mais je ne suis pas sûr d'être entendu. Ce que je souhaiterais c'est que les gens fassent preuve d'un peu plus d'électisme et de tolérance entre eux, qu'ils admettent une fois pour toutes, que chacun fait ce qu'il veut. Quand on pense à s'entraîner très sérieusement, on pense moins à dénigrer son voisin. Quant à moi, je pratique cet art merveilleux qu'est le karaté, dans mon club, avec mes élèves qui sont devenus, pour la plupart, mes amis. Dans mon dojo, typiquement japonais, nous pratiquons dans un pur esprit budo, avec d'autres amis-professeurs qui enseignent le judo, l'aiki-do, le kendo et le kyudo. Nous avons créé une ambiance formidable dont l'esprit est basé sur la progression personnelle de chacun : enfants, adolescents ou adultes. J'aimerais donner un conseil aux pratiquants de karaté : qu'ils continuent à s'entraîner sincèrement dans leur do (voie) et qu'ils ne se laissent pas borner par les films ni par toute autre chose ; qu'ils s'entraînent dans un esprit de karaté pur, comme nos ancêtres et nos anciens nous l'ont appris et transmis.

 

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