Dominique VALERA

Article parue dans Karaté Story ( D.Vincent)



 

Il ne nous paraît pas utile de présenter Dominique Valera : la célébrité du « king »est telle qu'elle nous dispense des formalités de rigueur. Et d'ailleurs, rappeler son extraordinaire palmarès, passer fastidieusement en revue ses innombrables titres nous eût semblé une concession aux sempiternels clichés qui lui sont habituellement réservés. Véritable cariatide du karaté français, Dominique Valera pourrait sans aucun doute constituer un volumineux dossier de tous les articles de presse qui lui ont été consacrés : ils traitent régulièrement du champion et jamais, ou peu s'en faut, de l'individu qui se tient derrière. Nous avons essayé de ne pas rééditer ce travers systématique en lui posant quelques questions personnelles.

Q_: Quand et où êtes-vous né?

R: Je suis né à Lyon le 18 juin1947.

 

Q_: Quand avez-vous commence le sport ?

R : Vers l'âge de six ans, j'ai abor dé l'élude du judo. A dix ans, je me suis mis au rugby. J'ai aussi joué au football et pratiqué intensivement la natation. A treize ans et demi, environ, j'ai commencé le karaté. J'étais déjà assez solide.

Q_: Quel est votre premier succès et quel souvenir en gardez-vous ?

R : Eh bien, mon premier succès fut le Championnat du Lyonnais en 1964 et pour moi ce fut une espèce de consécration car je m'étais beaucoup entraîné pour cette compétition. Sur le coup, je croyais être arrivé une fois pour toutes. Avec l'expérience, on s'aperçoit ensuite qu'on n'arrive à rien : il faut toujours se remettre en question, être toujours plus fort. Il n'y a pas de but.

Q/ Quand et à quelle occasion, éventuellement, avez-vous pris conscience de votre supériorité ?

R : Parler de supériorité c'est beaucoup dire, mais je me suis rendu compte, dès ma première année de karaté, que j'apprenais beaucoup plus vite que tous mes compagnons de cours.

Q_: Pensez-vous être doué ou croyez-vous plus simplement que vos succès ne sont que le fruit du travail ?

R : L'un et l'autre ! J'ai beaucoup travaillé et je devais certainement avoir une disposition particulière pour le karaté.

Q_: Vous en êtes rapidement venu à vous distinguer par des techniques très personnelles telles que votre fameux balayage.  Ces techniques sont-elles entièrement de votre cru ou les avez-vous empruntées à d'autres, puis perfectionnées ?

R : Le balayage direct, celui qu'on pratique de face, je l'ai emprunté à Yoshinao Nanbu qui fut un de mes professeurs pendant six, sept mois. Quant au balayage arrière, je n'avais jamais vu quelqu'un le faire avant moi. J'estimais donc pouvoir prétendre en être l'inventeur  jusqu'au jour où j'ai vu Bruce Lee, dans je ne sais plus quel film, effectuer des balayages arrière ! Je me suis alors dit « Tu n'as rien inventé. Ça existait déjà ». Mais je croîs pouvoir quand même m'en attribuer la paternité pour la France et l'Europe.

Q_: A plusieurs reprises, on a parle de vous comme d'un self-made-man du karaté. Vous reconnaissez-vous dans cette appellation ?

R : Non. Pas du tout.

 

Q_; Avez-vous beaucoup appris de vos professeurs et d'abord qui furent-ils ?

R : Mon premier professeur fut Jean Perrin. Il tenait un club qui se trouvait à un kilomètre environ de l'école que je fréquentais alors ; c'est donc pour des raisons de commodité que je me suis inscrit chez lui. De toute façon, à cette époque, il n'existait que deux ou trois clubs de karaté dans tout Lyon alors qu'aujourd'hui il doit y en avoir près de quarante. Je n'avais donc pas tellement le choix. Ce professeur m'a enseigné les techniques de base même si, au bout de six mois déjà, je commençais à voler de mes propres ailes. Mais je ne suis pas un pur produit shotokan ni même wado-ryu ou kyokushinkai; j'ai étudié tous les styles et combattu contre toutes sortes de pratiquants.

Q_: Vous avez marqué la compétition internationale de votre sceau. Vous y avez été admiré, craint, plagié, mais, et c'est l'inévitable revers de la médaille, votre supériorité finit un moment par irriter de nombreux aficionados des rencontres de karaté qui n'attendaient plus qu'une chose: vous voir  perdre.  Vous  étiez,  devenu l'homme a abattre. Quel effet cela vous faisait-il ?

R : Au début, c'est très dur. Après on arrive à s'y faire tant bien que mal. On fait tout pour gagner et donc, d'une certaine manière, pour contenter le public, malgré tous les soucis qui interfèrent sur 'entraînement, et celui-ci, du jour au lendemain, ne veut plus vous voir. C'est ingrat. Les ennuis 'argent, les problèmes familiaux, les larmes versées à l'entraînement, la sueur dépensée sont des composantes quotidiennes de a vie d'un champion. Le public devrait en tenir compte dans ses réactions, avant d'être si sévère, et de réclamer une nouvelle tête. Mais c'est la loi du sport, de tous les sports. A mes débuts, Coubertin remplissait trois mille personnes  venues m'applaudir, me voir gagner. Dix ans après, c'était trois mille spectateurs qui venaient me voir perdre. Ils ont dû être déçus. Mais ça ne m'a jamais empêché de continuer même si j'aurais aimé trouver un peu plus de compréhension.

Q_; Vous êtes aujourd'hui une authentique star. Vos avis sont sollicités, vos moindres démarches sont suivies des journalistes spécialisés et pourtant on ne sait presque rien de vous, l'homme qui se tient derrière le champion. Est-ce l'effet d'une résolution personnelle ou la conséquence d'une tournure incoerciblement spectaculaire des journalistes qui ne voudraient voirenvousquelabêtedecombat!

R : If y a un peu des deux ! Parler de ma vie privée, je pense que ça n'intéresse pas beaucoup les gens : je mène une vie régulière, comme tout le monde. Dire autre chose que je suis une « bête de combat » me paraît donc difficile. J'ai une existence de citoyen normal, une vie de famille qui ne se prête pas tellement aux développements journalistiques.

Q_; Toutes les fois que vous combattu, votre femme est dans l'assistance. C'est votre plus fidèle supporter. N'a-t-elle jamais peur pour vous malgré toute la confiance qu 'elle peut vous porter ?

R : Quand je faisais du « traditionnel », elle n'a jamais eu peur. Au contraire, ça l'amusait de venir assister aux championnats. Evidemment, au fond d'elle même, elle avait toujours un peu l'angoisse de me voir perdre, mais elle n'avait pas peur. Depuis que je suis professionnel, elle a peur et elle a d'ailleurs beaucoup changé. Elle est même sur le point de ne plus venir me voir combattre.

Q_: Et vous, vous n'avez jamais confié ce que vous ressenties lors d'un combat. Vous est-il déjà arrivé d'avoir peur ?

R : Peur, non. Je crois qu'en combat je ne connais pas la peur. Mais j'ai souvent eu beaucoup d'appréhension avant les combats. Pour ce qui est de ce que jeressens quand je combats, c'est très simple : je ne pense qu'à gagner. En « traditionnel » ou en full contact ça a toujours été mon unique préoccupation.

Q_: Pensez-vous que votre exemple, votre passage au full contact, va susciter beaucoup de reconversions ?

R : Oui, je le pense. Mais et c'est là un trait du caractère national, le Français réagit toujours avec trois ou quatre ans de retard surl'actualité. Ce que je fais en ce moment trouvera l'écho qu'il mérite chez les jeunes qui seront en pleine possession de leurs moyens dans quatre ans. Tous les jeunes vont alors se reconvertir au full contact. Ils y seront obligés parce que nous arrivons aujourd'hui à un épuisement du karaté traditionnel : il n'est plus possible d'en tirer quoi que ce soit.

Q_: Que pensez-vous du karaté français et de l'actuelle équipe de France ?

 R : Le karaté français est, à mon avis, d'un très bon niveau. L'actuelle équipe de France est nettement moins bonne que ce qu'elle fut dans le passé : de 1965 à 1972. Mais on ne peut pas avoir toujours la meilleure équipe du monde !  Les jeunes pensent actuellement un peu trop au vedettariat avant d'avoir fait réellement leurs preuves. Ils s'estiment arrivés et se conduisent en vedettes dès qu'ils gagnent un Championnat de France. Moi, j'en ai remporté 17 et je n'ai pas attrapé une grosse tête pour autant. Je travaille toujours entre quatre et six heures par jour. Eux, dès qu'ils ont un petit succès, ils s'estiment dispensés de travail : c'est pas la peine, ils sont trop forts. Ils sous estiment presque systématiquement leurs adversaires et s'entraînent donc beaucoup moins. Quand on leur parle, il faut presque employer la troisième personne ce qui est tout de même dommage !

Q_: Si vous aviez un conseil d donner aux nombreux jeunes qui vous admirent, que leur diriez-vous qui puisse leur être utile ?

R : D'emblée, je leur dirai de ne pas toujours m'admirer. Moi, je cherche de mon côté et je ne fais pas obligatoirement des choses bien. D'autre part, il n'est pas indispensable d'admirer quel qu'un pour faire des choses valables. Dans le passé, j'ai admiré des gens qui firent beaucoup de bêtises, des professeurs japonais qui m'ont beaucoup déçu par la suite, des Français aussi. Admirer quelqu'un n'apporte rien. Ce qu'il faut c'est s'entraîner avec lui, utiliser ce qu'il a de mieux, sentir ses qualités.

Q_: Doit-on, d votre avis, passer obligatoirement par le f traditionnel *pour devenir un bon combattant!

 R : En règle générale, oui. Le karaté traditionnel donne une excellente formation de base. On acquiert les formes des mouvements, l'équilibre, on sait donner les coups de pied, les coups de poing même si il faut les modifier par la suite. Maintenant, il n'est pas indispensable de pratiquer le karaté ou n'importe quel autre sport de combat, pour devenir un bon combattant. Il y a des gens qui ne font rien du tout et qui sont de très bons bagarreurs. Tout dépend donc de ce qu'on appelle « bon combattant M, « bagarreur ».

Q_; Comment voyez-vous l'avenir du traditionnel et quel intérêt attribuez- vous aux formes de travail typiquement japonaise s telles que les kata ?

R : Le « traditionnel » va suivre sont petit bonhomme de chemin comme par le passé si ce n'est une certaine désaffection des pratiquants chevronnés.  Les deuxièmes ou troisièmes dans seront obligés de travailler autrement. Ce n'est pas avec des blocages de base qu'ils progresseront. Le travail des kata est nécessaire jusqu'au niveau de premier dan et peut-être au-delà de temps à autre. Après, je n'en vois pas bien l'utilité ! Le kata est un combat imaginaire. J'estime que passé un certain niveau, il vaut mieux sortir un peu du domaine de l'imagination. Les rêves c'est bien beau, mais il faut savoir regarder la réalité en face et ne pas se la cacher par une pratique des kata et dire « Oui, mais moi je combats : je fais des kata ». Toutes les autres formes traditionnelles de travail, les ippon-kumite, les randori, etc., connaissent les mêmes limites : une fois la ceinture noire atteinte, elles ne servent plus à rien car elles sont conventionnelles et n'on aucune application possible en combat.

Q_.' Comment voyez-vous l'avenir du full contact et peut-on, à votre avis, l'aborder directement ?

R : Face à la reconversion de nombreux pratiquants, l'important serait de constituer une fédération de full contact qui incluerait le semi-contact et le light- contact. Tout le monde ne peut pas faire du full contact alors que le semi-contact est ouvert à tous. C'est tout à fait différent. En « semi », les coups au visage sont strictement interdits tandis que la frappe au corps est autorisée avec protections. Le full contact est réservé à l'élite, aux professionnels. Le « semi » peut être pratiqué par n'importe qui parce qu'il assure une sécurité maximum.

Q_: Pouvez-vous décrire me de vos journées-types ?

R :Je me lève à huit heures du matin. Je prends un petit déjeuner léger : du thé et quelques biscottes beurrées. Je pars ensuite au bois de Vincennes faire un footing de quatre à six kilomètres. Ensuite, je fais des assouplissements durant une heure environ, que j'enchaîne sur une demi-heure de travail des jambes. Ma matinée est presque terminée alors. Je rentre chez moi, je prends un bain chaud pour me détendre, je me fais masser éventuellement. Je m'occupe de toute la paperasserie professionnelle parce que je n'y échappe malheureusement pas ; et c'est après cette corvée que je me mets à table. Il est environ treize heures. Je mange légèrement : une viande avec un légume que j'alterne par un poisson un jour sur deux. J'évite les graisses au maximum : pas d'alcool, pas de cigarettes. Dans l'après-midi, je m'entraîne à mon club de quinze heures à vingt-et-une heures mais il m'arrive quelquefois de faire une petite sieste avant. Cependant, j'évite de la faire systématiquement parce qu'on s'y habitue facilement et qu'il n'est pas toujours possible d'en trouver le temps : on en ressent alors le manque.

Q_: Vous avez des sparring-partners ?

R : Eh bien, depuis la rentrée, je m'entraîne avec François Petit-Demange. C'est un garçon que j'aime beaucoup. On a tout un passé commun. Je le connais depuis plus de dix ans : on est ensemble comme l'est un vieux couple! Je l'admire beaucoup parce qu'il travaille énormément, sans jamais se décourager et il m'apporte pas mal de choses. Le matin, par exemple, quand nous courons, il me sert de lièvre ; François part et il ne me reste plus qu'à le suivre. L'après-midi, c'est à mon tour de l'éperonner : on travaille la technique. Après on met les casques, et on s'entraîne tous les deux sérieusement. Comme on a une différence de poids de seulement six kilos, tout va pour le mieux.

Q_: Quel est, a votre avis, le meilleur combattant actuel ?

R : C'est difficile à dire...

Q : Celui qui vous a le plus impression né alors ?

R : Alors là, c'est Joe Lewis. Et de très loin encore ! En 1969 déjà, on parlait de lui comme du loup blanc !

 

 

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